Les Maisons La Roche et Jeanneret sont la première expression du Purisme en architecture.
Bâtiment figurant dans la série inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, 2016
Ces deux maisons accouplées en un seul massif, réalisent deux problèmes très différents : l'une des maisons abrite une famille avec enfants et comporte quantité de petites pièces et tous les services utiles au mécanisme d'une famille. L'autre maison est destinée à un célibataire, propriétaire d'une collection de peinture moderne et passionné des choses de l'art. Cette seconde maison sera donc un peu comme une promenade architecturale. On entre : le spectacle architectural s'offre de suite au regard; on suit un itinéraire et les perspectives se développent avec une grande variété; on joue avec l'afflux de la lumière éclairant les murs ou créant des pénombres. Les baies ouvrent des perspectives sur l'extérieur où l'on retrouve l'unité architecturale.
A l'intérieur, les premiers essais de polychromie, basés sur les réactions spécifiques des couleurs, permettent le "camouflage architectural", c'est-à-dire l'affirmation de certains volumes ou, au contraire, leur effacement. L'intérieur de la maison doit être blanc, mais, pour que ce blanc soit appréciable, il faut la présence d'une polychromie bien réglée : les murs en pénombre seront bleus, ceux en pleine lumière seront rouges; on fait disparaître un corps de bâtisse en le peignant en terre d'ombre naturelle pure et ainsi de suite.
Voici, vivant à nouveau sous nos yeux modernes, des événements architecturaux de l'histoire : les pilotis, la fenêtre en longueur, le toit-jardin, la façade de verre. Encore, faut-il savoir apprécier, quand l'heure sonne, ce qui est à disposition et il faut savoir renoncer aux choses que l'on a apprises, pour poursuivre des vérités qui se développent fatalement autour des techniques nouvelles et à l'instigation d'un esprit neuf né du profond bouleversement de l'époque machiniste.
Le plan semble tourmenté, parce que des servitudes brutales l'ont exigé et ont limité strictement l'emploi du terrain : servitude de non-édificandi, arbres séculaires à respecter, servitudes de hauteur. De plus, le soleil est derrière la maison; le terrain étant orienté au nord, il faut, par certains stratagèmes, aller chercher le soleil de l'autre côté. Et malgré ce tourment imposé au plan par des conditions antagonistes, une idée obsède : cette maison pourrait être un palais.
Le jardin sur le toit - De l'herbe pousse entre les joints des dalles; des tortues se promènent tranquillement; des arbres ont été plantés : thuyas, cyprès, fusains, okubas, lauriers de Chine, troènes, tamarins, etc. Six ans ont passé, la verdure est plus belle que dans un jardin : le "toit-jardin" est un peu dans les conditions d'une serre (car l'air est pur, la lumière intense, et les racines plongent dans un terrain chaud et humide). Le propriétaire de la maison déclare ce printemps : "Venez donc voir mon lilas, sur mon toit ; il a plus de cent grappes de fleurs!", Toute la vie de famille tend vers cette partie haute de la maison. Le plan est retourné (la disposition intérieure); on fuit la rue; on va vers la lumière et l'air pur. D'ailleurs, le toit-jardin poursuit un but précis; c'est l'isolant assuré contre la dilatation des terrasses de béton armé. Si vous voulez avoir des plafonds propres sans taches d'eau, plantez un jardin sur votre toit! Mais n'oubliez pas de faire écouler vos eaux pluviales à l'intérieur de la maison !
Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 1, 1910-1929
8-10, square du docteur Blanche
75016 Paris
France